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mains

Modeler la cire

    Alors que nous nous lançons dans un projet de construction afin de cuire ma terre, et avant même de retourner dans l’atelier, je m’entaille la main. Ce geste me signifie que ce n’est plus le le temps de l’argile. Une pause nécessaire.

    Nous n’avons plus jamais assez le temps. Ce n’est pas possible de créer sans s’arrêter. Et en ce qui me concerne ce n ‘est pas possible de créer, voir de produire sans prendre le temps de marcher. La blessure de ma main a été l’occasion d’ouvrir ce livre qui m’attendais sur le coin de mon bureau, et d’accueillir paisiblement la tombée de la nuit qui s’invite un peu plus tôt chaque jour. J’apprécie à la fois la belle écriture de l’autrice et je découvre que l’eau qui file n’a pas emmené que moi dans son rythme. J’ai le plaisir de constater que l’eau, la marche et l’écriture s’entretissent d’une manière évidente pour celles qui en font à la fois un trajet et un lieu de soi. C’est une lecture-écho, un livre qui semble avoir été écrit pour être entre mes mains à ce moment là.

    Annabel Abbs. Méfiez vous des femmes qui marchent.

    Ce temps de pause est aussi l’occasion aussi de profiter des très belles journées de la fin de ce mois d’octobre. Le temps de marche s’accorde parfaitement à celui de la récolte en ce moment. Des châtaignes, des faines de frêne, des samares, des pommes de pin minuscules, de l’écorce de bouleau. Une jolie feuille. Des noisettes et des noix. Des lumières rasantes et des captures photographiques. Quelques mots pour un poème. Que j’aurai oublié en rentrant. Ne restera que l’impulsion. Chaque jour, je marche. Je récolte. J’écris quelques mots. Je lis. Je marche. Je respire. Dehors et dedans, ce sont les mêmes parfums. Je suis prête à écrire le récit que je couve depuis deux ans. Assise par terre, je trie, les doigts couverts de résines.

    L’envie est là. L’énergie aussi. Si je ne peux pas travailler la terre en ce moment, je peux faire des bougies à l’envie. Des bougies accordées à l’odeur de la brioche en train de cuire. Colorées et parfumées avec du pur cacao. Des bougies qui raconteront la marche dans les bois, l’odeur des sous bois, et du chocolat chaud pour se réchauffer les mains quand on rentre.

    Je comprends qu’avec les mini mondes des bougies, je peux écrire des histoires.

    La cire est comme l’argile une matière à modeler. J’aime le côté narratif et illustratif de ces petits paysages de lumière. Et en même temps que je réalise ces miniatures, je sens ce désir qui monte d’utiliser la cire comme un médium pour peindre.

    Le temps des questions.

      Cette fois, toutes les conditions semblaient réunies. Pourtant les cendres chaudes chaudes se dispersèrent pour révéler l’explosion de presque tout ce que j’avais mis à cuire.

      A chaque cuisson qui ne se passe pas aussi bien que prévu, je me cherche à analyser les éléments qui peuvent en être responsables. Dans la cuisson au bois le premier risque est au démarrage du feu. L’une de mes cuissons les plus spectaculaires a duré une petite heure. J’avais organisé un allumage en nid autour des poteries. Comme je cuis en fosse, et que je ne suis pas très bien équipée (pinces et gants de qualité), je ne peux pas faire chauffer le foyer une première fois en laissant les terres se réchauffer autour de ce premier feu. La fosse ne permet aucune de ces opérations. Je charge donc d’abord celle-ci avant d’organiser le feu.

      Cette fois, j’ai allumé des petits foyers tout autour de mon tas de pots puis j’ai tenté de faire revenir progressivement les foyers vers le centre. C’était une très belle journée ensoleillée du printemps. Lorsque mon feu a commencé à s’étendre, un vent frais s’est soudain levé, s’est glissé sous les flammes. Je ne pouvais rien faire. Et ma terre, un grès à chamotte fine a implosé, colorant les flammes et le tour de la fosse d’une fine poussière couleur brique. Nous nous sommes reculés pour ne pas inhaler ces poussières. C’est allé assez vite. J’ai laissé le feu s’éteindre. Je n’avais alors même pas pensé que c’était possible. Deux mois de modelage devenu poussière!

      J’ai fait le choix de cuire en fosse et je cherche à enfumer mes terres en même temps. Je rencontre en cela deux difficultés. Il faut que la chaleur monte assez haut pour assurer la cuisson de l’argile et il faut une certaine couche de végétaux pour enfumer les pièces. Je mesure ma chaleur à la couleur des flammes.

      J’ai retardé autant que possible la cuisson suivante. Nous étions en plein été. Persuadée que le choc thermique  avait eu lieu entre entre le vent et les flammes qu’il avait attisé, j’ai décidé de faire en sorte de ne laisser aucune prise au vent. J’ai cuit longtemps. Nous pouvions à peine nous approcher de la fosse pour recharger le feu. L’épaisseur des braises était telle qu’il fallu trois jour avant d’avoir accès aux poteries. Superbement enfumées, elles n’étaient pas cuites! Une deuxième cuisson m’a permis de récupérer des pots. Encore une fois, deux mois de travail au feu.

      Ma dernière cuisson, j’ai creusé une fosse moins profonde. Il m’apparaissait important que l’air chaud puisse mieux circuler sans pour autant donner de prise au vent. J’ai hésité un moment à faire une cuisson semi-fermée en recouvrant le tas de bois de terre et de mousse, mais il me semblait que c’était reproduire la même chose que dans ma fosse profonde. L’allumage était parfait, il n’y avait pas le moindre souffle de vent, la montée en chaleur était raisonnablement progressive. Le bois qui brûle craque toujours. Mais lorsque les claquements se font réguliers, on peut soupçonner que c’est la terre qui se brise. Cependant, j’ai mené cette cuisson à son terme. J’avais réunis tous les éléments qui me paraissaient favoriser une cuisson idéale au feu de bois.

      Excepté les petites pièces et quelques pots remis à cuire d’une précédente cuisson, tout est brisé. Au début du feu, donc probablement au premier pallier, celui qui fini d”évacuer l’humidité. Et je devine que la terre que je mets à cuire s’est abreuvée à la rivière. Cette rivière qui s’élève en brume et se dépose sur nous chaque nuit en couverture, déjouant murs et fenêtres. Et cette terre que je croyais sèche ne l’est pas assez. Chaque nuit, l’argile rappelle l’eau en son cœur.

      J’ai eu envie de céder et de confier mes poteries à un four industriel. En effet au delà de l’expérimentation, je tente de lancer mon entreprise et je recule de cuissons en cuissons, jusqu’à arriver à ce moment où je suis acculée par la nécessité de sortir assez de production pour vendre un peu. Pendant vingt heures, j’ai étudié cette possibilité, mais aussi celle de remiser le travail de la terre et d’obtenir des contenants basiques pour mes bougies.

      Au bout de ces vingt heures, je savais.  Je renoncerai pas au feu.